EPIC 2020- Debrief #1

unknowns
blog unknowns
Published in
5 min readOct 27, 2020

--

Ça y est, c’est parti ! L’édition 2020 d’EPIC commence officiellement cette semaine et c’est une super occasion pour les idées de prendre un grand bol d’air frais ; celui en l’occurrence de la baie de Melbourne ! Yes ! Enfin de Melbourne… via un écran, sur Zoom, et à Paris… mais depuis Melbourne quand même hein ! Et pas que, d’ailleurs. EPIC, c’est plus de 400 chercheurs, anthropologues, designers, professeurs, business leaders répartis en Asie, aux Amériques, en Europe, en Afrique, et bien sûr en Océanie.

Du coup, on comprend que le thème choisi cette année, SCALE, est particulièrement approprié. D’abord parce que l’Australie est un pays qui fait la taille d’un continent : autrement dit, les événements peuvent y prendre des proportions démesurées, en mal (les incendies) ou en bien (le surf). Ensuite parce que réussir à réunir autant de personnes venant des quatre coins du monde dans un même espace virtuel est une véritable gageure. Enfin, parce qu’à l’heure de la pandémie, parler des échelles de grandeur fait écho à l’expérience individuelle, où qu’on soit dans le monde.

C’est beau une conférence mondiale non ?

On s’est donc levé un peu plus tôt que d’habitude hier matin pour assister, en direct de Melbourne, à la conférence d’introduction générale réalisée cette année par Geneviève Bell : Going to Scale: Lessons from the Pandemic. Outre un CV impressionnant (de Intel à la banque nationale australienne), l’anthropologue offre un décalage assez intéressant sur le sujet.

Spontanément dit-elle, dès qu’on parle “échelle”, on pense tout de suite à “passer à l’échelle”. Pour les produits, services, ou expériences, par exemple, avec en tête que plus vite ils seront utilisés par le plus grand nombre… et mieux ce sera. Le passage à l’échelle est donc associé à un accomplissement. Or cette conception n’est pas aussi évidente qu’elle n’y paraît. Tout simplement parce le passage à l’échelle n’est pas systématiquement synonyme de réussite.

La pandémie nous fournit un exemple éloquent. Nous sommes en effet tous témoins et acteurs d’une expérience sociale qui est massive par son ampleur, imprévue par sa rapidité d’expansion, et d’une certaine manière politique par ses conséquences, aussi bien sanitaires et sociales qu’économiques.

Par conséquent, le passage à l’échelle peut amplifier des phénomènes pas forcément désirables (inégalité, isolement, etc.), précisément dans des situations où les systèmes de gestion et de régulation deviennent inopérants, du fait même du passage à l’échelle de ce qu’ils sont censés réguler. Autrement dit, la plupart de nos systèmes — en particulier de santé — ne sont pas préparés à accueillir des passages à l’échelle massifs.

Voici maintenant 4 exemples donnés par Geneviève Bell pour son pays, mais qui vous seront sans doute familiers…

Le télétravail

Hier pratiqué par quelques happy few, le télétravail s’est désormais imposé aux entreprises dans des proportions qu’elles n’avaient pas anticipées. Il a donc fallu trouver dans l’urgence de nouvelles façons de travailler, de se coordonner, de se synchroniser ainsi que de nouveaux accords sur ce qui relève du professionnel et ce qui relève du privé. Si le phénomène est a priori similaire côté entreprise, il est en revanche vécu différemment côté travailleur. L’expérience du télétravail varie énormément d’un individu à un autre. Travailler à distance de chez soi n’est pas la même chose selon qu’on est seul-e ou en couple, qu’on vive dans une pièce à une fenêtre ou dans une maison avec jardin, qu’on dispose des bons outils et surtout qu’on sache bien les utiliser. En Australie, une pénurie de webcams aurait ainsi privé beaucoup de télé-travailleurs de conditions idéales de travail à domicile.

En France, on avait nous aussi identifié ces différents phénomènes grâce à notre étude sur la vie sur le confinement, en particulier lors de notre séminaire consacré au travail : l’expérience de la pandémie est commune à tous, mais elle vécue différemment par chacun.

L’apprentissage à distance

Là aussi, le phénomène est collectif mais les réalités très différentes. En Australie — et sans doute ailleurs — chacun, depuis chez lui, a dû faire avec les moyens du bord et s’improviser professeur-e des écoles. Une situation particulièrement difficile pour les parents qui ont dû cumuler avec leur emploi du temps professionnel : comment expliquer à ses enfants qu’on n’est pas disponible quand on est là ? Drôle de question, surtout face à des enfants qui ont dû trouver étrange d’être ensemble mais séparément. Comment leur faire apprendre à vivre en collectivité quand cette collectivité s’incarne par écrans interposés ?

Les supply chain

C’est une autre dimension de la pandémie : elle met au grand jour ce que nous n’avions plus l’habitude de voir. Elle dé-voile, en quelque sorte, toutes les chaînes d’acteurs et de machines nécessaires à la réalisation de choses inaperçues et banales. Ainsi, les pénuries de biens de “première nécessité” dans les supermarchés ont remis sur le devant de la scène les coulisses des chaînes d’approvisionnement. Les gens se sont rendu compte que les biens ne viennent pas tout seuls dans les magasins, bien qu’une certaine mythologie de la profusion veuille nous faire croire l’inverse. Ainsi la pandémie rend visible celles et ceux qui agissent dans les marges de nos systèmes de valeurs et de représentations. Ici encore, des échelles très différentes se bousculent et se télescopent.

Se rassembler

C’est vrai qu’on a beaucoup entendu de discours politiques et managériaux sur le collectif, la nécessité de “faire corps” tous ensemble face à un événement dé-structurant. Mais encore une fois, changer d’échelle nous permet de nous rendre compte que la réalité de ce que vivent les gens est très souvent différente. À ce titre, la pandémie ravive et amplifie des inégalités quel que soit l’adjectif qu’on accole derrière. Et puis tout simplement parce que, même au sein d’un pays, l’ampleur de la crise et les mesures subséquentes varient beaucoup d’une région à une autre.

From Melbourne, with Love

Une conférence d’introduction qui donne le ton, donc. N’est-ce pas le rôle de l’anthropologie que d’offrir un pas de recul pour analyser ensemble des phénomènes habituellement séparés ? Autrement dit de regarder avec un oeil neuf la question des “échelles”.

Rendez-vous demain pour poursuivre la discussion. Au programme : comment penser différemment la conception d’espace par une architecte, comment mesurer l’impact social d’un projet avec des anthropologues, comment la Nature nous apprend à décentrer notre regard sur le passage à l’échelle, etc. Bref, un super programme en perspective.

Bien sûr, nous sommes aussi de la partie ! Guillaume présentera un cas d’étude sur comment passer des chiffres aux individus (de l’ethno au quanti) en repartant d’une étude réalisée sur le bricolage. Marc-Antoine présentera quant à lui une étude où il a eu recours au concept de gentrification pour analyser comment les gens font leurs courses en ville dans le cadre d’un projet d’innovation.

--

--