La Tech au seuil de l’âge adulte

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4 min readNov 28, 2017

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Disruption et ubérisation. Des mots qui, depuis quelques années déjà, sont sur toutes les lèvres. Celles du dirigeant d’entreprise comme celles du technophile. Pendant des années, les startups ont claironné qu’elles allaient changer le monde. Les réalisations spectaculaires des GAFAM et autres NATU — jeunes pousses devenues grandes — ont prouvé qu’elles en avaient les capacités. Il n’y a pas de débat : les startups ne sont plus les outsiders d’hier.

Après 4 jours passés au WebSummit, à Lisbonne, nous avons cependant le sentiment que quelque chose a changé : le temps où les start-ups promettaient de renverser violemment la table des conventions de marché est-il révolu ? Hier craintes, aujourd’hui prises au sérieux et hautement désirables, elles ont droit à une attention sans commune mesure de la part des politiques, des institutions, des grands groupes et des intellectuels. En témoigne le programme de la grand-messe tech : ouverture par le secrétaire général des Nations-Unies, discours de clôture signé Al Gore… Les startups et la technologie sont au cœur de tous les débats — du réchauffement climatique à l’accueil des réfugiés — et dans tous les domaines — de la santé au transport, en passant par la consommation. Bref : en plein cœur de la Cité.

Si la Tech a prouvé qu’elle pouvait changer le monde, pouvoir publics, entreprises, institutions et gouvernements lui délèguent désormais l’immense responsabilité de le faire.

For good, le nouveau leitmotiv

Certes, startups et venture capital conviennent que la technologie peut avoir des effets, vertueux comme pervers, non seulement dans la vie des utilisateurs finaux, mais aussi — et c’est plus difficilement mesurable — sur les écosystèmes économiques et sociaux. Au-delà du “don’t be evil” de Google, le “for good” s’impose comme nouveau leitmotiv. Voici venir le temps des business models conçus par et pour l’alignement des intérêts : lien durables et valeur pour tous. Selon James Joaquin, d’Obvious Ventures, intervenant du talk “Profit and purpose”, il n’y a d’ailleurs pas de raison de choisir… entre “profit” et “purpose”. C’est avec cette philosophie que sont aujourd’hui conçus des produits comme Karma — qui propose les invendus des supermarchés à moindre coût — et QuFlip, une plateforme apportant aux restaurateurs une solution abordable de paiement et de réconciliation des flux de commandes, avec une commission par transaction faible. Il n’est ici nulle question de mettre les professionnels en situation de dépendance. Uber est déjà loin.

La découverte de l’impuissance

Avec le devoir de responsabilité vient le constat d’une terrible impuissance. Car à l’échelle des grands enjeux du siècle, tels que le partage de la valeur et la préservation d’un environnement durable, la technologie ne peut pas tout. La brosse à dents connectée n’attire plus que les curieux et ne charrie plus la promesse d’une meilleure santé pour chacun. Au solutionnisme technologique des années fastes de la Silicon Valley succède donc la désillusion. Et l’humilité dans l’action.

C’est ce qu’évoque Jackie Hunter, de BenevolentBio : la technologie ne doit pas remplacer les scientifiques mais les aider. En utilisant l’IA pour permettre aux chercheurs d’identifier et de définir les champs d’investigation prioritaires, la technologie est remise à sa juste place. Celle d’un adjuvant.

Et si seules des réponses globales et collectives étaient à même d’apporter des solutions à la mesure des enjeux ? C’est quoi qu’il en soit l’appel d’Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations-Unies, venu affirmer qu’innovation et politiques publiques doivent aller de concert.

La croisée des chemins

Mais être enjointes à s’attaquer à des enjeux que gouvernements, institutions et grands groupes peinent à résoudre, sans en avoir réellement les moyens, le pouvoir, ou la légitimité, laisse les startups face à une incroyable responsabilité. Le discours galvanisant d’Al Gore, en clôture de l’événement, enfonce le clou : “Most of you are extremely young, most of you are determined to be a part of building a bright future. Making good money ? Yes ! But in the process, helping to make the world a better place, that’s what we all should be about”. Entre responsabilité et impuissance, le monde de la Tech se trouve à la croisée des chemins. Doit-il accepter d’être réduit à un instrument de politiques publiques ? Trouver une organisation pour accomplir ses ambitions ? Se suffire de contribuer à son échelle ?

Se soumettre, s’affranchir ou rester humble… Le WebSummit 2017 a sifflé la fin de la récré. Et sonné l’entrée de la Tech dans l’âge adulte.

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